Entre vestiaire et science : la réalité de la nutrition dans les clubs pros

Jun 24 / Arnaud BRUCHARD
Une étude inédite dans les coulisses de la Premier League

Le consensus UEFA sur la nutrition du footballeur, publié en 2020, a posé des bases scientifiques solides pour l'accompagnement nutritionnel des joueurs professionnels.

Mais qu’en est-il réellement de l’application de ces recommandations dans les clubs de haut niveau ? C’est la question à laquelle répond cette étude qualitative publiée en 2024 dans la revue Sports Medicine - Open, en se focalisant sur la Premier League anglaise.

Menée auprès de 20 nutritionnistes travaillant directement dans des clubs professionnels, cette recherche explore en profondeur les freins et leviers à la mise en œuvre de la nutrition fondée sur la preuve dans l’univers si particulier du football professionnel masculin.

Des praticiens compétents, mais une réalité complexe

Les professionnels interrogés, tous diplômés et expérimentés, reconnaissent l’importance du consensus UEFA comme cadre de référence. La plupart disent s’en inspirer activement. Mais rapidement, la réalité du terrain s’impose : entre contraintes logistiques, hiérarchies informelles dans les staffs, diversité des joueurs et imprévus permanents, la nutrition dans les clubs est souvent une affaire d’adaptation plutôt que d’application stricte.

Certains nutritionnistes témoignent de leur isolement au sein du staff médical ou performance, de la difficulté à obtenir un suivi régulier des joueurs, ou encore du manque d'adhésion de certains entraîneurs qui considèrent encore la nutrition comme secondaire.

Des freins persistants à l’implémentation des bonnes pratiques

Les principaux obstacles identifiés sont :

  • La culture du club : le soutien de l’entraîneur principal et du staff dirigeant est crucial. Sans cela, même le meilleur protocole reste lettre morte.
  • Le manque de temps et de disponibilité des joueurs : entre les matchs, les déplacements et les sollicitations médiatiques, instaurer des routines nutritionnelles devient un vrai défi.
  • La pluralité culturelle : dans un même vestiaire, cohabitent des dizaines de nationalités, avec des croyances, préférences et pratiques alimentaires différentes. L’approche doit être sur-mesure.
  • Le rôle flou du nutritionniste : parfois perçu comme un simple « conseiller », son statut peut manquer de légitimité face aux kinés, médecins ou préparateurs physiques, pourtant eux aussi concernés par les enjeux nutritionnels.

L’étude souligne que même dans un championnat aussi structuré que la Premier League, la mise en œuvre des recommandations reste partielle, dépendante de facteurs humains, relationnels et organisationnels autant que scientifiques.

Des leviers puissants identifiés pour faire progresser la pratique

Tout n’est pas sombre : plusieurs éléments facilitent une meilleure intégration de la nutrition dans les clubs, selon les répondants. Parmi eux :

  • L’implication directe des entraîneurs dans les discussions nutritionnelles.
  • Des retours d’expérience terrain montrant des bénéfices sur la récupération, les blessures ou la performance.
  • La présence de dispositifs de suivi individualisé, comme des bilans réguliers, des outils de traçabilité alimentaire ou des consultations personnalisées.
  • Une bonne coordination entre nutritionnistes, kinés, médecins et préparateurs, autour d’objectifs communs.

L'étude invite d’ailleurs à renforcer le dialogue interdisciplinaire, pour sortir d’une approche en silo et positionner la nutrition comme un levier transversal de performance et de santé.

Des recommandations concrètes pour demain

Cette recherche ouvre plusieurs pistes concrètes pour améliorer la mise en œuvre du consensus UEFA dans les clubs professionnels :

  • Développer des formations spécifiques pour les staffs techniques sur les enjeux de la nutrition.
  • Créer des postes de nutritionnistes mieux intégrés hiérarchiquement dans les organigrammes.
  • Encourager les échanges de bonnes pratiques entre clubs via des réseaux professionnels.
  • Adapter les outils du consensus aux réalités du terrain, avec des fiches pratiques, des check-lists ou des protocoles simplifiés.

Elle souligne aussi le besoin d’un soutien institutionnel accru (UEFA, fédérations, ligues), non seulement pour élaborer les recommandations, mais pour les rendre opérationnelles.

CONCLUSION

CONCLUSION

CONCLUSION

CONCLUSION

CONCLUSION

CONCLUSION

CONCLUSION

 
Une nutrition en transition, entre ambitions et réalités


Cette étude qualitative dresse un portrait nuancé, mais précieux, de la réalité nutritionnelle dans le football professionnel. Si la connaissance scientifique progresse, son intégration effective dépend de nombreux facteurs humains, organisationnels et culturels. Le consensus UEFA représente un guide solide, mais son implémentation nécessite une stratégie globale, coordonnée, et résolument interdisciplinaire.

Pour les kinés, préparateurs physiques, nutritionnistes et staffs médicaux, cette étude rappelle qu’il ne suffit pas de connaître les recommandations : encore faut-il savoir les traduire en actions, au cœur de la vie du vestiaire.

L'ARTICLE

Evans, J., Scott-Baumann, J., & Morton, J.P. (2025). Barriers and enablers to implementing the UEFA Consensus Statement on Nutrition: Insights from sport nutrition practitioners in the English Premier League. Scientific Reports, 14(1), Article 98231. https://doi.org/10.1038/s41598-025-98231-5